Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
Les archives d'Hubert Renard sortir

 

Paradoxes
N°8, hiver 96/97

Jeu de piste

Une question se pose, pour rendre compte de l'exposition d'Hubert Renard à la galerie Berbeglia-Gaté, après avoir visité les lieux, regardé les œuvres, lu le texte de présentation (sur le carton d'invitation au vernissage ou sur le communiqué de presse, c'est le même) : comment faire part de la complexité toute simple de ce travail ?
On pourrait s'intéresser d'abord au titre de l'exposition, "10 positif", jeu de mot pas très original, mais qui donne déjà une piste : il s'agit d'un dispositif comprenant dix éléments. Neuf d'entre eux sont effectivement physiquement présents dans la galerie, six photographies, une peinture murale, une installation lumineuse, un distributeur de tracts. Le dixième étant le carton d'invitation, devenu à cette occasion un élément de l'exposition - donc une œuvre ? On pourrait aussi s'attacher aux images exposées, de grands tirages aux couleurs vives, mais qui semblent se refuser à nous : à part le jeu graphique et la composition colorée, elles ne disent pas grand chose du monde. Difficile de dire ce qu'elles représentent, et leur titre n'aide guère (la plage s'appelle Plage, l'objet éclaté Crash, le panier de basket Basket…) En s'y penchant de plus près, ou en relisant le carton d'invitation, on constate qu'il s'agit d'agrandissements d'images de la presse quotidienne, et le grain qu'elles affichent est celui de la trame offset du journal. Ainsi, ce ne sont pas véritablement des photographies de l'artiste, et bien qu'elles nous semblent mutiques, elles illustraient des articles de presse, elles documentaient des événements. Une autre photographie, d'une facture différente, intitulée Document, nous montre la même galerie il y a un peu plus d'un an avec une œuvre de Renard, lors de sa première exposition ici. On appelle ceci une mise en abîme. Le texte nous signale que l'artiste a tiré cette épreuve à partir des archives de la galerie. Voilà un photographe qui n'utilise jamais son appareil photo ! La ligne de lampions lumineux et bleuâtres est une "réactivation" d'une installation conçue pour une rétrospective en Suisse que nous n'avons pas eu l'occasion de voir, et la peinture murale au fond de la galerie ne représente rien d'autre que le plan de l'exposition, avec le titre des œuvres exposées à leur emplacement. L'artiste nous propose même gratuitement la reproduction de ce plan en format A4, et on est bien en peine de savoir s'il s'agit là d'un document pédagogique comme on en trouve dans les dispositifs muséaux ou d'une œuvre d'art.
On commence alors à comprendre : tout ce que nous montre Hubert Renard est de l'ordre de la reproduction, des représentations graphiques (le plan de l'exposition), photographiques (l'exposition précédente), physiques (les ampoules électriques), verbales (le carton d'invitation) ou encore de l'ordre de l'énoncé tautologique (des photos de photos). Rien ne peut être considéré comme un objet unique, fait de la main de l'artiste, et exprimant une vision du monde. Pourtant, tout ici fait œuvre, mais par le biais de la copie, du multiple, de l'imitation, de la citation. On ressort troublé, enchanté, perturbé, et c'est bien ce qu'on attend de l'art.
Dehors, le monde semble déjà transformé, ressemblant tellement à ce qu'on sait de lui : on se met à douter de sa réalité.

Guillaume Deroux

10 positif
Galerie Berbeglia-Gaté, 5 rue de la Basanne, 75004 Paris
jusqu'au 1er mars 1997