Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
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24 Heures
vendredi 11 octobre 1996, Vincent Grignolle

Esthétique du lieu commun
Photographie
- Hubert Renard expose Le bout du monde à la fondation Rosario Almara : peintures, photographies, sculptures, installation lumineuse dans un joyeux mélange...

La primeur d'une invention ne fait pas débat seulement chez les scientifiques et les ingénieurs : la question se pose aussi pour les créateurs, soit quand ils deviennent des Maîtres, soit quand leur génie est reconnu par tous. C'est pourquoi l'exposition actuelle d'Hubert Renard à la Fondation Rosario Almara, et le catalogue qui l'accompagne, est un événement utile et pédagogique.
En proposant un ensemble d'une œuvre qui couvre plus de vingt ans, dans une scénographie savante et légère, l'exposition, intitulée Le bout du monde, nous interroge singulièrement sur le goût contemporain du constat froid et chirurgical, marque d'une nouvelle génération de photographes. Cette esthétique du lieu commun, que l'on dit héritée de l'art conceptuel, a peut-être des origines plus complexes, que l'on peut entrevoir grâce à cette rétrospective. Car Hubert Renard n'est pas à proprement parler un artiste conceptuel. Si ses débuts sont très nettement empreints des expériences situationnistes, il se pose rapidement en sculpteur, acquérant bientôt une reconnaissance réelle et méritée pour ces monumentales constructions, proches du minimalisme. Quand il s'intéresse plus particulièrement à la photographie, c'est en passant par l'enseignement de Charles Addenby, et c'est en véritable photographe qu'il construit aujourd'hui son œuvre, avec le souci permanent d'interroger toujours les enjeux de l'art et son rapport au monde, c'est à dire au regardeur, à nous.
Evidemment, dire d'Hubert Renard qu'il est photographe ne fera que déranger les tristes gardiens du temple de la photographie, et ne résoudra pas la question toujours présente des liens entre l'image argentique et l'art contemporain. Mais il se dégage des grands tirages de l'exposition agencés comme des décors, il apparaît dans les pages du catalogue savamment mis en page, une sorte d'équilibre, de cohésion, de justesse, qu'on aurait pu penser impossible quant aux thèmes que l'artiste développe : reproductions de mobilier domestique, pousses de lentilles, sportifs du dimanche, paysages incertains. Il y a de la lenteur dans ce travail, comme si l'artiste cherchait à fixer le temps de l'insolation de la surface sensible plutôt que l'instantané du monde réel. Il y a de la langueur, de la mélancolie, comme une invitation à s'arrêter, sur des bancs en bois par exemple, pour laisser les choses s'installer devant nous, ou pour nous installer avec elles.
Toute l'œuvre d'Hubert Renard est la surface de l'image, ses photographies cherchent leur place dans l'espace entre décor et objet, ses sculptures rivalisent avec l'architecture. Il ne s'agit pas d'un énième travail formaliste, les enjeux de Renard sont contemporains, renouvelés dans le choix d'images singulières, d'une modernité sans âge, débarrassés de toute mythologie. Et les agencements dans l'espace (sur la cimaise du musée, sur la page du catalogue) que l'artiste organise savamment, abandonnant la forme du tableau, ouvrent l'œuvre à l'expérimentation du public, refusant la sacralisation qu'indubitablement les salles du musée induisent, cherchent à travers des gestes proches de ceux de la vie quotidienne a trouver du sens dans le présent de leur manifestation. Les formes sont soignées, la scénographie est limpide, le propos est convaincant, et rien n'est encore joué : car il faut pour que cet art vive, se manifeste, se réalise, une étincelle qui lui est extérieur, le visiteur.

Vincent Grignolle