Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
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Le Temps
Lundi 14 octobre 1996, Simone Spritz

A la recherche du bout du monde

Beaux-Arts Dernière exposition proposée par la Fondation Rosario Almara, "Le bout du monde", réunissant des œuvres récentes avec des travaux plus anciens d'Hubert Renard, a pour principale qualité une très grande intelligibilité : le visiteur est agréablement convié à traverser un parcours à la fois ouvert et parfaitement maîtrisé.

Simone Spritz

Cette exposition rétrospective permet de prendre la mesure du travail d'Hubert Renard, dix ans ou presque après celle organisée par le Centre Limousin d'Art et de Culture à Limoges en France. La série de photographies Le bout du monde, qui lui donne son titre, présentée ici pour la première fois, se déploie dans l'exposition en tapisserie sur toute l'étendu des cimaises. Dans ses photographies de voyages, Renard a sélectionné différents paysages, pour la plupart urbains, puis il a opéré un floutage rendant ces images à la limite du lisible. Lumière, perspectives, matières s'unissent en un savant dégradé, vers un point d'indétermination du réel qui rend chaque vue à la fois terriblement ordinaire et extraordinairement singularisée. Leur accrochage, qui étend à la cimaise entière le goût de la photographie plasticienne pour les très grands formats, et qui du coup hésite entre dramatisation de l'espace et ironie (d'autres œuvres étant placées dessus ces paysages, les reléguant à un statut de papier peint mural décoratif), invite le spectateur à déplacer son regard de l'image vers l'architecture, vers l'organisation même de l'espace, et à s'interroger sur sa propre place à l'intérieur du dispositif.
Cette série désigne le thème central de l'exposition - passage, questionnement sur le réel. De même, une rampe de lumières traversant selon une ligne droite à travers les couloirs arrondis des galeries de la Fondation Almara, Lumière du jour, constitue une autre pièce majeure de cette exposition. Discret, voire immatériel, ce rideau lumineux est à la fois un chemin qui traverse rigoureusement tout l'accrochage, un fil d'Ariane, et un jeu mimant les dispositifs muséographiques de présentation des œuvres (la rampe de spots), en éclairant les passages de l'entrée à la sortie de l'exposition, en exposant sous les projecteurs le public lui-même. Cette utilisation de la lumière comme matériau de création, loin de chercher le sacré, introduit dans l'œuvre de Renard une poésie, une magie du concret particulièrement réussie.
L'exposition, œuvre interactive, est un passage qui en contient plusieurs : les bancs en bois, sculptures à roulettes dessinés par l'artiste pour cette occasion, sont tout autant des invitations à la méditation, à la pause, que des éléments ludiques proposant au visiteur de s'emparer de l'œuvre, de la moduler, à son envie, selon son humeur. Ainsi, d'une salle à l'autre, d'un moment à l'autre, l'espace est toujours en mouvement, en perpétuelle évolution.
On revient sur ses pas. On retourne en arrière, on contourne les sculptures ou on les transporte ; les mêmes séries d'images sont utilisées dans les différents espaces et renvoient à d'autres œuvres de l'artiste comme dans un perpétuel recommencement (Paysages, Nuanciers, sportifs, Architectures, meubles…). L'expérience est avant tout celle d'un décalage, d'un doute - les images de Renard sont à la fois des représentations du réel et des dispositifs désignant les mécanismes iconographiques, des images d'images.
On est sans cesse confronté à la difficulté de voir. Il faut trouver la bonne distance à l'œuvre pour reconnaître dans les Nuanciers des images pornographiques, dans les trames d'imprimerie des Architectures, des Fauteuils ou des visages souriants, et si on voit les bancs ou les tapisseries ou les spots, il faut s'interroger pour décider de leur statut : œuvres d'art, décoration ou mobilier ? Cette exposition expérimente l'aventure de la rencontre en opposition à la stabilité du construit, dans un univers désincarné produit par une maîtrise parfaite qui montre chez Renard le désir, commun à nombre de ses contemporains, d'un retour du savoir-faire dans l'art.

Fondation Rosario Almara, Pully - Tél : 4121 721 36 68, jusqu'au 15 décembre