Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
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Artistes
n°25, 1985, Didier Lambert

MEUBLES MEUBLANTS

Illusion d'un jeu géométrique où l'apparente rigueur semble articuler une surface à la froide élégance. Construction savante de lignes noires qui quadrillent et rythment la photographie ironique d'un réel galvaudé dans l'invraisemblance d'un catalogue de mobilier. Totems modernes reproduits à la surface de l'image, dont le ton bistre et le cadre vertical désignent le temps figé du monument mortuaire, mais où des objets de décoration d'intérieur viennent grimacer avec humour et dérision, déplaçant l'icône de son aura symbolique vers sa fonction signifiante. Le monde ici se meurt dans sa volonté à s'auto-représenter, il est sa propre vitrine et s'enferme sous clef. Des vases, des chandeliers, dont l'énigmatique plasticité révèle tout ce qu'ils ont d'artifice, rendent à ces frêles esquisses d'une construction de légende l'apesanteur qu'elles semblaient vouloir nier.
Qui a dit que l'art est une vitrine du monde ? Car à bien regarder les photographies d'Hubert Renard et en cédant au jeu facile des retournements sémantiques, il se pourrait bien que l'on finisse par croire que le monde est une vitrine de l'art. Jeu de dupe pour un artiste qui ne l'est pas, alibi de ce qui est utile et de ce qui donne à l'art un éclairage ostensiblement pervers.
Les artifices. Tout le nouveau cycle du travail de Renard porte pour titre ce terme dont l'origine est commune avec l'art, mais que l'époque a déplacé vers la contre-façon, le contre-nature, le leurre. De l'imitation de la nature, la représentation, et donc la contre-façon, l'art d'aujourd'hui serait peut-être passé à la présentation, c'est-à-dire à la manifestation du réel dans l'objet. Ainsi les monuments et les maisons, les meubles, toutes les dernières sculptures de Renard, magnifiquement présentées l'année dernière au CLAC de Limoges, et qui sont autant de constructions défiant l'espace dans sa structure même. Retournement brutal de situation, subterfuge photographique, piège de la lumière, c'est cette structure spatiale qui se trouve ici représentée, mise à distance, fictionnalisée. Mise à l'épreuve de son mensonge.
En lieu et place de ses sculptures, Renard nous propose non pas leur représentation, mais la copie agrandie de leur modèle, des meubles de design d'intérieur. L'artiste créateur, concepteur d'un cosmos qui lui est propre, et qu'il confronte à la réalité du monde, devient le copiste de cette réalité, cadrant, fixant, réduisant ou agrandissant, transportant un élément visible d'une situation à une autre.
A l'échelle du corps de l'homme, dans sa dimension standardisée de confort, le meuble est bien dans notre quotidien l'équivalent, le symptôme, la manifestation de tous les efforts de l'artiste : remplir l'espace, remplacer le vide par un volume qui prenne sa forme et le rende visible.
Meubler, c'est remplir l'espace. On peut même meubler le temps.

Didier LAMBERT
5/12/84