Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
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Public
n°1, 1984, Alain Farfall

HUBERT RENARD
par Alain Farfall


L'exposition d'Hubert Renard présentée ce printemps au Centre Limousin d'Art et de Culture, a bel et bien été l'un des moments importants de l'année, et marquera de façon certaine la saison de ce jeune organisme. Martin Roche-Taillard, qui en as-sure la direction avec originalité et détermination, fait appel non seulement aux vedettes mais aussi aux artistes qui travaillent à l'écart des modes et des mouvements du marché, et a su programmer des mani-fes-ta-tions qui révèlent au public la nécessité de l'œuvre d'art dans la réalité quotidienne du monde d'aujourd'hui.
Né à Lyon, ville frontière entre le nord et le sud, Hubert Renard est resté jusque là un artiste trop ignoré. Il s'est toujours tenu dans une sorte de retrait par rapport aux écoles et aux influences parisiennes, menant sa recherche dans une relative solitude, bien que parfaitement ancrée dans son époque. De nombreuses expositions ont déjà démontrées son talent et sa pertinence, et sa carrière riche et variée le place définitivement parmi les jeunes artistes incontournables. Sans formation artistique, il a su trouver et peaufiner son métier, à force d'expériences et de patience. Son travail, à l'image de l'art, est dans son essence même en mouvement permanent. Il ne s'agit pas pour lui de faire nouveau, credo trop facile de nombreux artistes, mais bien de toujours proposer de nouvelles interrogations autour de l'objet. Son œuvre opère la combinaison entre la tradition moderniste et les recherches expérimentales les plus avancées, sans esprit de système, d'école ou de groupe, ce qui explique sa capacité à exceller dans des styles très divers. Des installations aux sculptures, du construit au conceptuel, de la peinture aux arts appliqués, sa grande liberté s'exprime ainsi dans la forme même de son œuvre, et c'est là sûrement la marque d'un véritable créateur.
Le parcours dans l'exposition est bien à l'image de cette diversité. L'accrochage chronologique que Renard et Roche-Taillard ont adopté d'un commun accord s'incrit certes dans la tradition de l'exposition rétrospective, mais débouche parallèlement sur la surprise du visiteur face au déroulement des mouvements formels de l'œuvre à l'intérieur d'une logique et d'une rigueur intellectuelle très lisibles. Ainsi dès les premières salles, qui réactivent des travaux anciens aujourd'hui disparus - un monochrome débordant rappelant son intervention à la Galerie Viviane Ross de Genève en 1975 ; les quatre cadres noirs, qui citent autant son importante exposition chez Stefano Rotondo à Vérone en 1974 que des interventions antérieures, quand ce motif, un cadre en bois peint en noir, était le matériau premier de son travail - nous sommes affrontés à cette interrogation qui reste le pôle central de la démarche de l'artiste, à savoir le questionnement des conditions de l'exposition. Car chez Renard, et ceci dès ses premiers travaux, l'œuvre se manifeste dans l'actualité de sa présentation, sans produire nécessairement un objet durable et autonome. C'est une logique qui prend en compte l'analyse du contexte culturel et social dans lequel l'artiste intervient, opérant des interventions, des transformations, des déplacements sur ce contexte, et tendant à faire de l'exposition son propre objet.
Dans la salle suivante, le "triptyque (version 1975)" montre aussi le travail de déconstruction du vocabulaire artistique, proche des œuvres du groupe support/surface. Plan, verticalité, sérialité, opposition entre le construit et la nature, motif, mimesis, tous les concepts mis en œuvre ici semblent être convoqués pour répondre à l'image de cette étagère voisine (datée de 1984 mais restituant des pièces réalisées en divers lieux il y a quelques années), installée devant une fenêtre du musée, qui nous rappelle que Renard cherche dans ces décalages quelque chose au-delà du sens. Et cette confrontation met en relief la notion de représentation, de reconstitution, propre à l'exposition rétrospective, et qui aurait pu sembler en contradiction avec le projet même de son œuvre, s'il n'avait su, par ce type de rapprochement, faire de cette contrainte le sens même de l'accrochage au CLAC.
La suite de l'exposition propose des travaux plus récents et souligne l'évolution de la pratique de l'artiste, qui cherche aujourd'hui à construire des objets toujours en équilibre entre leur masse et l'enveloppe extérieure, à la recherche de leur propre autonomie. Les "maisons" et les "monuments" de Renard tendent ainsi à opposer au vide un volume qui le remplisse, à mettre de l'espace dans l'espace. C'est encore la question de la perception de l'objet qui est posée, mais par la structure intrinsèque de la sculpture plutôt que par des procédés de décalages d'une situation donnée. Devant ces constructions, qui se mesurent à nous comme à l'espace architectural, il se crée une tension très forte qui perturbe les rapports entre le public, l'objet et le lieu d'exposition.
Ainsi cette très belle salle, où la grande toile "peinture d'intérieur" (1982) fait face à quatre grandes sculptures ("Maisons 9, 10 et 11", et "Mobilier"1982), qui fait dialoguer une peinture très épurée, dessin en perspective de l'aménagement intérieur d'une cuisine, mais visiblement d'une autre époque, énigmatique hommage à l'ergonomie et à l'économie de l'espace des temps modernes, avec trois constructions en bois noir et une structure de métal et plastique, à mi-chemin entre l'architecture et le design, ni mobilier fonctionnel ni maquettes d'architecte, volumes dont la masse s'oppose à l'espace finalement trop petit de la salle d'exposition. Mystérieuse installation, où les sculptures pourraient être des exercices construits d'un projet que désignerait la peinture, à moins qu'elle ne s'étende à tout le volume muséal, qui pourrait contenir une tentative, à l'image des injonctions fonctionnalistes qu'expose la peinture, de remplissage efficace de la totalité de l'espace.
Toute l'exposition d'ailleurs tourne autour des pièces construites de Renard, qui a certainement produit beaucoup plus d'œuvres éphémères que de sculptures, et il semble évident que ce rassemblement de pièces anciennes, bien plus que de retracer les différents moments son œuvre, engendre, par sa nature même de collection, l'objet finalement exposé. C'est l'exposition qui devient l'objet, et le musée lieu de création, de la même façon que la maison de Saint-Etienne, lors de l'installation "13, rue Louis Viardot" en 1977, où l'artiste avait peint les murs, le sol et le plafond d'un monochrome gris-vert, et désigné ainsi la maison en ruine comme la réalité même de la forme et du sens de l'œuvre. Ainsi, en acceptant la règle de la rétrospective, mais en détournant cette contrainte par la mise en espace de ses principes qui consistent à observer l'extension de l'objet à tout l'espace qui l'accueille, il intègre une pièce de plus à son corpus, dans un continuum exemplaire, et cette exposition, loin de faire un bilan ou une description d'un passé, est entièrement consacrée à la manifestation d'une œuvre, qui a lieu, ici et maintenant.
La démarche de Renard, aux nombreuses facettes, s'aventurant dans diverses directions, ne se laisse pas facilement caractériser. Elle se concentre pleinement dans une tentative de redéfinition de l'espace, ce qui est peut-être la distinction des véritables œuvres d'art. Ne cherchant pas réellement à poser les contours d'un champ où le volume pourrait s'inscrire dans une surface, comme c'est le cas de nombreuses recherches, elle s'articule autour d'une pratique empirique, manipulant l'espace et en détournant l'image, qui fonde et dévoile avec ingéniosité la relativité de toute démarche cognitive. Elle se développe ainsi autour d'une poétique du détournement, et crée un espace où l'esprit peut se libérer de l'objet exposé, c'est à dire posé au-dehors, pour aller flâner vers un ailleurs sans limites.

Alain Farfall