Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
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Opus
n°81, été 1981, Jean-Julien Lapaire

Hubert Renard à La Marelle

Aussi multiple et déstabilisante soit-elle, l'œuvre d'Hubert Renard s'élabore par des déplacements, des ruptures, des enchaînements, des décalages, au travers d'expérimentations d'une singulière opiniâtreté. Si ses créations peuvent a priori nous apparaître relever d'un certain disparate, il ne s'agit certainement pas d'une cohésion insuffisante ni d'un défaut de rigueur, mais bien en réalité d'un rejet de tout ostracisme, d'une dissidence au mouvement de confrontation confuse d'une suite bornée d'attitudes établies. Son domaine de recherche s'étend dans un territoire aux lisières extensibles, en repoussant toujours les bornes structurelles, syntaxiques et sémantiques. Quatre murs de béton signe une étape éloquente de ce travail qui opère à la fois par rassemblement et par détournement. Elle instaure une méthode qui, d'une part, questionne les liaisons entre le matériel et l'utopique, et qui, d'autre part, fait soudainement apparaître limpides et démesurés leurs effets expressifs.
Conçue dans la masse concrète (concrete), elle se détermine dans un topos chimérique : ni décoration, ni véritablement sculpture, elle se pose et s'installe dans une zone intermédiaire de la raison, et crée ainsi un choc, une ambiguïté, une déstabilisation, mais aussi une réaction de la part du public puisqu'elle s'appréhende à la fois comme un ensemble fini et comme le volume éclaté du spectacle artificiel de la sculpture. Obstinément plus attentif à l'équilibre instable entre artefact et nature, à cet instant troublant où l'art visuel abandonne la mimesis pour se concentrer sur son auto-définition, à savoir la poiesis qui se fait dans et par le geste de création, Hubert Renard finit par ériger une moderne Artificiosa Rota.
La mise en espace qu'elle élabore est cosa (puramente) mentale. Cependant, les empreintes qu'elle souligne par l'inscription géométrique de bases et de repères, par l'orientation de quatre murs de béton brut, dessinés selon une figure rectangulaire, l'élévation cubique d'un lourd volume occupant quasiment tout l'espace, mais créant des corridors, des passages, des chemins, à l'intérieur même de la forme construite, et établissant un autre espace dans l'espace d'exposition, permettent, dans une force et une intensité maîtrisées, à révéler le plan tridimentionnel d'une invisible topographie fractale qui n'apparaît réellement que par les observations de nos sens. Ce n'est donc pas un univers fermé sur lui-même qu'il fait deviner, mais bien une diversité de voies qui conduisent à la restitution d'un planisphère intime, peut-être au "nulle part" de Heidegger, cet imperceptible hic et nunc. Il n'est pas fortuit que Renard parle du labyrinthe et de la légende du Minotaure.
La conception d'une telle œuvre est la stase momentanée d'une recherche de l'autre côté de la camera oscura. C'est en quoi elle est captivante dans sa calme brutalité : les plans, les rythmes, les axes de ce monde exposé nous introduisent directement dans le domaine défendu du nom-dit de l'art.

Jean-Julien Lapaire