Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
Les archives d'Hubert Renard sortir

 

Art press
n°190, avril 1994, Jessica Le Breuil

HUBERT RENARD

IPAC
du 15 février au 30 avril 1994

Le travail d'Hubert Renard se situe toujours dans un ailleurs. Ni photographie, ni sculpture, ni architecture. Ce qui fait œuvre d'art, c'est la mise en espace d'objets hétéroclites.
On peut rapprocher Hubert Renard de ces artistes qui, dans les années 80, sur les pas d'un Buren ou d'un Lavier, se sont interrogés sur les moyens actuels envisageables pour produire un objet d'art. Pour lui, l'œuvre anticipe en elle-même l'étendue de sa potentialité et s'échafaude avec elle. En 1981, il construit dans l'exposition Die Häuser, à la Galerie Heimberg de Cologne, des "maisons", comme autant de constructions sur leurs gardes, protégeant leur espace, devenant le projet. Parmi des artistes de la même génération qui se sont révélés dans une communauté d'analyse, comme Bustamente ou Schütte par exemple, l'œuvre de Renard se particularise par ses images, directement empruntées au modèle pictural, comme il nous le rappelle avec un peu d'emphase ici, par ces fresques monochromes.
Planes ou en volume, se jouant des dimensions jusqu'à nous faire douter de notre propre grandeur, les œuvres de Renard sont des images qui nous engagent dans leur développement. Elles sont des fenêtres d'observation qui émettent des signes. A Krefeld, un mur présentant des photographies de pousses végétales faisait face à une immense reproduction mécanique de photographie architecturale, et un banc, dessiné par l'artiste (donc une sculpture ?), invitait à s'installer là, en ce point de séparation, ou d'ouverture.
On retrouve ce type de dispositif, mais peut-être un peu appauvri, dans les salles de l'IPAC, qui instaure un dialogue entre des photographies de troncs d'arbres - grands formats ponctuant l'espace, créant des ouvertures sur un extérieur flou, telles des fenêtres, mais quasi condamnées par un arbre sur-dimensionné - et des repiquages de fauteuils, référence amusée aux chaises de Montréal (l'artiste aurait-il vieilli ?), ou encore des objets sculptés (Etagère, Bibliothèque). Ces productions récentes, dans le juste prolongement de travaux plus anciens, sont confrontées ici à une pièce centrale, hommage à Charles Addenby, décédé en 1991. Pour l'occasion, Renard s'essaie à "faire du Addenby", c'est-à-dire photographier le ciel. Il ne s'agit en l'occurrence pas d'une parodie, d'un plagiat, ou d'une caricature : reprenant à son compte le projet de son ami mort, il ne cherche en aucune façon à l'imiter. D'ailleurs, partant de la même constatation que faisait Addenby, citant Wittgenstein, "on ne construit pas des nuages", il propose un dispositif spectaculaire - là où l'artiste britannique était tout en subtilité et en économie - projetant une photographie de ciel sur un écran translucide. Tous les repères usuels de l'image sont perturbés : la lumière émane physiquement de l'œuvre, c'est un procédé cinématographique qui nous offre une image fixe, et surtout, le ciel est représenté d'en haut, nous sommes au-dessus des nuages, en suspens… On peut toutefois s'interroger sur la validité d'une proposition circonstancielle face à ce qui fut l'obsession existentielle de toute une vie artistique.
Dans une autre salle, une maquette de ville, sorte de représentation d'un urbanisme dévorant, utopie chimérique, fiction d'étude architecturale, semble une mise en scène à échelle réduite qui nous soustrait à l'image, qui organise le pouvoir d'extension de l'œuvre et de son exposition en simulacre. L'œuvre est la représentation de son lieu. C'est peut-être par cette pièce, qui abandonne enfin le métier et le savoir-faire au profit d'un laisser-aller délibéré, que Renard se renouvelle un peu et nous offre des perspectives inédites.
Pas besoin de scène ou d'amphithéâtre pour jouer le spectacle de l'art : Renard le sait bien et installe le visiteur devant la surface photographique et les dimensions extensibles des objets. Les volumes aussi jouent le jeu : le design à la De Stijl se comporte comme une métaphore du projet, de sa véhémence théâtralement contemporaine. Quant aux poufs qui proposent au public de s'installer dans l'exposition comme en communion avec l'œuvre, s'ils représentent une dimension nouvelle et originale dans le travail de l'artiste, une volonté de faire relation avec le regardeur, ils semblent toutefois venir contredire cette notion de spectacle.
Ce qui se combine dans cette exposition, entre réalité et fiction, nous fait supputer un contenu multiple, parfois un peu obscur. Au-delà des récits dont on devine les traces, les circonstances, au-delà de la toile qu'elle tisse autour d'une utopie exposée, elle trouble le visiteur en l'invitant à une collaboration. Comme s'il se trouvait dans une situation inattendue, de l'autre coté de la fenêtre d'observation.

Jessica Le Breuil