Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
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Art press
n°155, février 1991, Denis M. Pardier

HUBERT RENARD

Kunsthalle Krefeld
28 novembre 1990 - 16 janvier 1991


Décalage, transposition, appropriation : ce sont les trois éléments de base qui composent et structurent un art du détournement, qui va de Richard Prince à Sigmar Polke par exemple, et qui a produit des œuvres exceptionnelles, comme celle de Gerhard Richter pour ne citer qu'elle. Mais il vaut mieux ne pas perdre de vue que les principes, pour nécessaires qu'ils soient, ne sont que l'architecture d'une œuvre, et qu'ils ne sauraient en aucun cas la remplacer. C'est ce que semble avoir oublié Hubert Renard, notre jeune artiste français dans le vent, dans sa dernière livraison à la Kunsthalle de Krefeld.
En délaissant son sujet de prédilection, la représentation du réel, pour des végétaux improbables, Renard produit une série d'images indigne de son talent, bien qu'empreinte d'une véritable qualité plastique, servie par des couleurs vibrantes et des grands formats (mais quelle image tirée sur grand format ne devient pas intéressante ?)
Dans ses œuvres précédentes, il mettait en place un réseau topographique d'une extrême complexité, jouant à la fois des volumes géométriques de l'image et de son référent réel, provoquant dans ces repiquages de la presse des interférences entre surface photographique et multiplicité des facettes de la reproduction du monde. Ces mises en abîmes mettaient en question la valeur de description du photographique, et plus généralement du possible de la représentation du réel dans l'art. C'est un peu comme si, dans sa nouvelle série, Renard avait voulu, en dégraissant le contenu formel, se rapprocher d'une sorte d'essence de la reproduction photographique, en ne conservant que les trois éléments de base : décalage, transposition, appropriation. Bien sûr, son talent reste entier, et l'on peut trouver dans ces images les mêmes interrogations sur la taille, la reproductibilité. On cherche à identifier quel est le référent, on comprend que l'artiste nous déplace du réel (les plantes) vers le fictif (leur macrophotographie) et pose ainsi la question de notre propre place devant l'œuvre, c'est à dire devant le monde… Mais, au bout du compte, l'essentiel manque et ces images restent fades.
Et l'artiste lui-même est-il vraiment convaincu par son travail, qui éprouve le besoin d'accompagner ces tirages de repiquages noir et blanc d'images d'architectures, certainement parmi le meilleur de sa production récente, et de sculptures en forme de meubles, qui rappellent sa première période. Mais là encore, on est surpris et irrité de voir à quelle vitesse les artistes peuvent faire d'une idée un tic. Après l'invasion des cadres en acier et celles des caissons lumineux, voici le temps des petits maîtres ébénistes, celui de l'inexpressionnisme absolu. Est-ce vraiment un projet artistique que de fondre les œuvres dans le décor ? Est-ce un souci tellement important, la méticulosité de la fabrication? D'autant qu'en ce domaine, un grand artiste a déjà exploré, et avec quel brio, les rapports entre sculpture et design : Donald Judd. Souhaitons que Renard ne s'égare pas plus avant dans ce chemin aride qu'il vient d'emprunter à Krefeld.

Denis M. Pardier