Hubert Renard
(Les archives d'Hubert Renard)
Les archives d'Hubert Renard sortir

 

Art press
n°61, juillet / août 1982, Elizabeth Tanner.

HUBERT RENARD
GALERIE SYNAPS

du 29 mai au 27 juin 1982
Tout un secteur de la sculpture contemporaine a, depuis une quinzaine d'années, choisi comme thème de réflexion : l'espace. Les méthodes les plus diverses utilisées pour libérer le regard de la seule contemplation du volume ont permis d'ouvrir la sculpture à de nombreuses questions, et l'angle du regard à de multiples expériences. Si les minimalistes, en prônant la limitation des composantes formelles, ont défini un art méprisant la forme et cependant porteur de la forme, d'autres créateurs, plus ambitieux ou moins simplificateurs, sont parvenus à établir les retrouvailles de la forme et de l'idée en tentant néanmoins de sortir de l'anonymat de la forme rationnelle, en privilégiant le rapport émotionnel à l'œuvre.
Ainsi en va-t-il d'Hubert Renard, dont le parcours rigoureux et puissamment inventif nous rappelle qu'il est un découvreur de chemins de traverse. Qu'il fixe au mur de fines planches de bois assemblées de façon à créer des lignes parallèles, quelques structures, des plans immatériels, ou qu'il érige dans un volume en bois peint, c'est-à-dire dépouillé de toute expression naturaliste, un dispositif de verticales, d'ouvertures et de parallélépipèdes, son propos cerne étroitement les pôles complémentaires de la désignation : le matériel et l'immatériel, le réel et le virtuel, le visible et le fictif, le conceptuel et l'émotif. Si la simplicité des formes l'intéresse en premier lieu, il n'en fait pas moins appel à de nombreuses relations internes qui compliquent l'angle de vision. Une verticale comme appui de plans horizontaux, un parallélépipède déséquilibrant paradoxalement un système rectiligne, un rythme brusquement interrompu instaurant l'arbitraire, sont autant de forces de tension qui engagent les formes à trouver de nouveaux équilibres dans l'éclairage de la distanciation et de l'ironie. Tout en étant rigoureusement abstraits, les volumes n'en connaissent pas moins l'insubordination émotive, l'asymétrie frondeuse, l'accident volontaire. Si bien que toute l'œuvre semble imprégnée d'une gestualité contrôlée, gouvernée, qui renforce la sensation d'espace aérien créé par le rapport et la disposition des planches, des piles et des volumes. Cette sculpture, qui joue mélodiquement des oppositions entre fragilité et force, entre apesanteur et pesanteur, entre vide et forme, entre rigueur et lyrisme, expérimente avec finesse la multiplicité de nos attitudes mentales face au visible. Par la seule indication de quelques vecteurs induisant des plans imaginaires, des parcours physiques ou visuels, elle impose son indissoluble unité avec l'environnement auquel nous appartenons. Tout se passe, comme si l'utilisation des ressources de la matière (couleur, chaleur, rigidité, élasticité du bois) et d'une syntaxe de formes abstraites, au demeurant très dépouillées, avait pour but d'instaurer entre le vide et la forme un échange libérant tout observateur d'une persistante obsession de ses propres limites.
Définissant une métaphysique de la vision sur un territoire particulier, Renard fait naître des lieux où la pensée rejoint directement, sans mot pour le dire, la croyance en un ordre cosmique mystérieux gouvernant toutes choses. Ses pièces, fonctionnant comme des pièges visuels, nous incitent à abandonner tous nos schémas d'interprétation pour nous aventurer dans une expérience sensible de l'espace dont nous pressentons, soudain, l'étonnante proximité. En tournant autour des sculptures nous découvrons qu'elles bougent, qu'elles respirent à l'intérieur de leur propre densité. D'où le sentiment d'un dialogue, continu ou brisé, mettant en cause notre seule disponibilité à rejoindre le plan de la méditation silencieuse.

Elizabeth Tanner