HUBERT RENARD
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C.V.
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VOLS
Revue Orbe, série b, n°4
La Rochelle, 1996 [2006]
Autour d'une série de 6 photographies, Vols, 1995. Edité en juin 1996 à l'occasion de l'exposition Le bout du Monde, Fondation Rosario Almara. [28] p., couleurs, 16 cm


Archives : Le bout du monde
Lien : Orbe

vols

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ARTICLE

Paradoxes, n°6, été 1996
Alain Farfall

VOLS, HUBERT RENARD, REVUE ORBE

Vols, d'Hubert Renard, est un petit livre d'images, édité par la revue Orbe, et qui semble au premier abord assez inoffensif. Pourtant, à y regarder de plus près, il tente une surprenante exploration dans l'épaisseur de l'image et du livre lui-même. L'ouvrage est constitué de photographies pleine page, se répondant ou se complétant, dans un continuum visuel particulièrement cohérent. Très vite, on réalise que chaque image est le recadrage, le détail, le fragment d'une autre image plus grande. Cadrer, agrandir, capter, vocabulaire de prédilection de l'artiste, qui correspond aux caractères fondamentaux de la photographie. Pourtant, Renard ne capture pas le monde, en l'occurrence ici des sportifs en action, mais des images téléchargées sur internet (volées ? c'est ce que laisse deviner le titre…)
On reconnaît en principe les images du web à leur très forte pixellisation, qui rend les courbes accidentées et transforme les dégradés en grilles de nuanciers. L'artiste, peut-être pour camoufler son forfait, a procédé ici à un travail de lissage, de floutage, afin de faire disparaître la trame informatique, adoucissant, polissant ces images, et autorisant du même coup de forts agrandissements.
Ce qui se passe dans les pages du livre, ce que Renard nous donne à voir, en supprimant de la photographie à la fois son potentiel transcendantal et sa faculté de reproduction du réel, c'est la révélation (photographique…) que l'image est bien une surface, et que c'est là que se joue son pouvoir, tout autant politique qu'esthétique. Ce travail concrétise la réunion de deux paradigmes antinomiques de la photographie, d'une part le champ du privé, de l'intime et du quotidien (ici les notions de compétitivité sportive, de connaissance, de dépassement de soi, valeurs clés de l'injonction contemporaine "sois toi-même, réalise toi"), et d'autre part l'aspect obscène de l'image comme agent de communication, qui déréalise le monde (il polit, il lisse l'image imparfaite qu'il a téléchargée sur internet, jusqu'à la faire glisser vers la fiction). Ce qui semblait n'être que des images innocentes (1) bascule ainsi vers l'image du spectacle de la représentation, même. Il évacue la notion de véracité, par le détournement des caractères de l'image numérique, pour tenter de créer une image qui ne soit qu'une image, et de façon certaine, une image d'image.
Se désintéressant du sens et des symboles des clichés qu'il emprunte, il les fait en quelque sorte renaître à travers une série intitulée, comme le livre, Vols (impossible de décider s'il faut entendre "larcins" ou "envols"). Ces six tirages, exempts de tout commentaire, décontextualisés, recadrés, transposés, affichent avec netteté leur fort pouvoir (photo)graphique. Le livre applique à ce travail le même procédé, supprimant toute référence explicite à la série d'origine, (à l'exception notable de l'image reproduite en page 17, montrant une de ces photos exposée à la Biennale Charleroi Art Contemporain, et qui fait de l'exposition un autre décalage, un déplacement (2)), rendant les photographies à leur condition d'image avant d'être des reproductions d'œuvres d'art. C'est peut-être ici une réponse a contrario de la théorie de Benjamin qui se demandait si la légende n'allait pas "devenir l'élément le plus essentiel du cliché." (3) Renard cherche ce qu'il y a d'unique dans chaque image, bien au-delà de l'idée d'une pureté initiale, qui lui semble suspecte, mais dans le trouble et l'ambiguïté qu'elle recèle, qui ne révèle rien sur l'essence du sujet.

Alain Farfall

Vols, d'Hubert Renard
Orbe, série b : n°4
Edition de l'association Orbe, 1996

1 - Nous pensons à la proposition de Roland Barthes, faire une image "radicalement objective, c'est-à-dire en fin de compte innocente." Rhétorique de l'image, in œuvres complètes, vol. 1, Editions du Seuil, 1993 (1964), p.1421.
2 - Rappelons ici qu'exposer, c'est étymologiquement poser en dehors.
3 - Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie, Essais 1, 1922-1934, Denoël/Gonthier, p. 168 (trad. M. de Gandillac).