HUBERT RENARD
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C.V.
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CARTEL N° 8 [THE WATERFALL, EVEN]
Hubert Renard et Jacques Salomon

Mars 2017

Cartel n°8 est une œuvre élaborée entre un collectionneur, Jacques Salomon, et l'artiste, Hubert Renard, à partir du protocole proposé par l'artiste.

Le collectionneur a choisi un objet de son environnement quotidien et a décrit à l'artiste les raisons de son choix. Il s'agit de l'évier de la kitchenette. À partir de ces explications, l'artiste a créé un cartel composé d'un titre, de la date de réalisation, d'une description technique et du format de l'objet, ainsi que d'un court texte pédagogique en français, traduit en anglais grâce aux services de Google Translate. Il a produit une photographie (17,2 x 23,5 cm) qui représente le cartel accroché à un mur. Cette photographie a été installée à proximité de l'objet.

L'œuvre ainsi coproduite est l'association de l'objet choisi par le collectionneur et la photographie réalisée par l'artiste.
Elle disparait lorsque l'objet et la photographie sont séparés.
Elle reste active tant que la situation est inchangée.

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The Waterfall, Even, 2017
39 x 32 x 60 cm
Inox, métal chromé, pvc noir et chainette
Stainless steel, chrome metal, black PVC and chain

Cette œuvre au titre duchampien condense les interrogations et les mutations qui caractérisent les dynamiques contradictoires à l'intérieur même de la collection. C'est une utopie destinée à faire émerger une transformation imaginative des structures : d'un geste, le regardeur devient usager et l'objet se transforme en fontaine, source vive et flux d'art.

This work, under the title of "Champlain", condenses the questions and the mutations that characterize the contradictory dynamics within the collection itself. It is a utopia intended to bring about an imaginative transformation of structures: with a gesture, the viewer becomes a user and the object is transformed into a fountain, a living source and a flow of art.

 

Alain Farfall

Hubert Renard et Jacques Salomon
Cartel n°8 [The Waterfall, Even], 2017

Dans le local où Jacques Salomon expose une partie de sa collection se trouve un cartel curieusement placé au dessus d'une kitchenette. Comme tous les cartels, il décrit une œuvre d'art. Celle-ci s'intitule The Waterfall, Even, et il s'agit de l'évier en inox qui se trouve juste en dessous. Un objet d'art et son cartel : une situation banale en somme. Pourtant, à y regarder de plus près, l'objet d'art semble bien servir d'évier, le cartel est plus exactement une photographie de cartel, et il n'y a pas de nom d'artiste indiqué dessus. L'art, à travers sa forme concrète, sa médiatisation et son auteur, se dérobe à une situation dont l'énoncé semblait d'emblée assez clair.

Il s'agit d'une œuvre d'Hubert Renard et Jacques Salomon, Cartel no 8, réalisée en 2017 à partir du protocole présenté sur la plateforme d'Isabelle de Maison Rouge, Artists & Users. L'artiste y propose une rencontre avec un collectionneur autour de la possibilité de métamorphoser un objet ordinaire en objet d'art par le truchement de la littérature d'exposition. Très concrètement, le collectionneur désigne un objet de son quotidien et l'artiste crée un cartel qui décrit celui-ci comme un objet d'art. Ce cartel est photographié, et c'est la juxtaposition de l'objet et de la photographie de cartel qui devient une œuvre cosignée par les deux protagonistes.

L'œuvre ainsi créée reste active tant que la situation est inchangée. Elle disparait lorsque l'objet ou la photographie sont séparément déplacés ou détruits. La fragilité même de cette pièce souligne les rapports complexes qui s'établissent entre l'art et son discours : car les œuvres d'art ne se présentent jamais seules, mais toujours accompagnées de textes, que ce soient les cartels, les catalogues, les visites guidées ou bien les thèses universitaires conservées dans des archives. Entre l'objet et son commentaire, il est parfois difficile de décider lequel travaille l'autre.

Le texte jargonnant de Cartel 8 tente de nous expliquer que l'évier focalise les forces multiples s'entrechoquant dans cet espace d'exposition, la collection. Matérialisé par le flux de l'eau, source de vie, l'art en potentialité se canalise dans une vasque, signe de convergence. L'évier, telle une fontaine de jouvence, renvoie à l'immortalité que l'on cherche à travers l'art tandis que l'écoulement de l'eau évoque l'inexorabilité du temps qui passe. L'évier est aussi un cousin de l'urinoir, tandis que le titre rappelle celui du Grand Verre, et cette double référence à Marcel Duchamp doit rassurer tout le monde. C'est le regardeur qui, en ouvrant le robinet, active le processus symbolique de l'objet et devient un usager de l'art.

Mais le cartel n'est pas là. Il s'agit de sa photographie, qui éloigne l'objet représenté à sa surface vers un ailleurs indécidable. À la manière de la pipe de Magritte, cette image nous dit : " ceci n'est pas un cartel ", et renvoie le discours classificatoire et l'analyse métaphorique vers les espaces officiels et sclérosés de l'art. On le sait : les dispositifs muséaux fonctionnent comme des langages performatifs et transforment effectivement tout ce qu'ils présentent en œuvre d'art. Ce que nous disent les co-auteurs de cette pièce, de façon plus pertinente que ce parangon de texte de médiation et sa traduction automatique dans un anglais approximatif, c'est que l'on peut franchir les frontières du champ traditionnel de l'art qui se concentre sur l'objet et sa valeur symbolique. Ce qui fait art, ici, c'est le récit d'une situation plutôt que sa manifestation matérielle, c'est son histoire plutôt que sa présence plastique. Les échanges que cette pièce provoquera sont plus importants que la contemplation d'un évier et d'une image. Dans cette optique, l'œuvre d'art se déplace de l'objet vers le geste, de sa production vers son projet, de sa monstration vers des relations à établir encore.

Il est possible que l'évier de la kitchenette ne soit pas véritablement devenu un objet d'art, mais la rencontre entre celui-ci et l'image de son cartel, entre un collectionneur et un artiste, entre une proposition et sa mise en forme est certainement une façon perspicace de se demander ce qui fait art, et comment le raconter.